Un cadre pour le logement qui ne laisse personne de côté


Notes d'allocution

Marie-Josée Houle
Défenseure fédérale du logement

Bureau du défenseur fédéral du logement

Présentation au groupe d'experts :

Accès refusé? Inégalités en matière de logement et de soins de santé auxquelles sont confrontées les communautés de PANDC au Canada – Analyse et recommandations

Un cadre pour le logement qui ne laisse personne de côté

Organisé par le Réseau canadien pour l'équité et la justice raciale (RCEJR)

Webinaire : « Briser les barrières, bâtir l'équité »

17 octobre 2025
20 minutes
13 h – 15 h HE

LE TEXTE PRONONCÉ FAIT FOI

Bonjour tout le monde!

Merci pour cette aimable présentation, et merci au RCEJR d'avoir organisé cette discussion sur une question fondamentale qui, chaque jour, devient plus urgente.

Je tiens à souligner que je m'adresse à vous depuis le territoire traditionnel non cédé et non abandonné de la nation algonquine Anishnaabe, également connue sous le nom d'Ottawa.

Je tiens également à saluer, avec beaucoup de respect, la diversité des participants représentés ici aujourd'hui.

Que vous soyez des défenseurs des communautés, des universitaires, des personnes travaillant dans le secteur sans but lucratif ou des personnes ayant vécu les situations dont nous allons discuter aujourd'hui, chacun et chacune d'entre vous apporte à notre discussion une voix essentielle qui doit être entendue.

Comme vous pouvez le constater, je m'identifie comme une femme blanche. Et je suis parfaitement consciente du privilège que cette identité m'a apporté.

Je suis également ici aujourd'hui en tant que personne qui a connu la pauvreté, le déplacement, la marginalisation géographique et la précarité du logement.

Toutes ces expériences personnelles nourrissent mon travail, mes activités de défense des droits et les conversations importantes auxquelles je participe, comme celle d'aujourd'hui.

J'attendais cette discussion avec beaucoup d'impatience.

Le logement et la santé sont indissociables.

Alors, aujourd'hui, je tâcherai de circonscrire autant que possible mes propos afin que nous puissions consacrer le plus de temps possible à la partie la plus importante : la discussion qui suivra.

Voici donc les points que j'aimerais aborder brièvement :

  • le droit au logement et sa genèse,
  • l'état actuel du droit au logement au Canada et la raison pour laquelle j'utilise le mot « catastrophique »,
  • ce que nous entendons par le droit à un « logement adéquat »,
  • et les solutions possibles – inspirées du système de santé canadien – pour permettre au Canada de mettre en place un cadre en matière de logement qui ne laisse personne de côté.

Je suis d'ailleurs particulièrement impatiente de vous entendre sur ce dernier point, à savoir les solutions qui pourraient être envisagées.

Votre participation est plus importante que jamais.

L'histoire nous a appris que c'est précisément dans le cadre de discussions comme celle d'aujourd'hui que des progrès sont réalisés, lorsque les gens se réunissent pour discuter de ce qui est essentiel pour chacun et de comment y parvenir.

En fait, il y a plus de 75 ans, c'est lors d'un rassemblement déterminant que les fondements de la Déclaration universelle des droits de l'homme ont été posés.

Dans les cendres de la Seconde Guerre mondiale, les nations se sont rassemblées et ont convenu que nous devions nous protéger les uns les autres et ne plus jamais laisser personne pour compte.

C'est ainsi que la Déclaration universelle des droits de l'homme a vu le jour.

La Déclaration est un ensemble de droits fondamentaux et inaliénables que chaque personne sur terre possède à la naissance et que nous partageons tous en tant qu'êtres humains.

Non seulement nous, en tant qu'individus, devons bénéficier de ces droits, mais tous les États sont également tenus de veiller à ce que ces droits soient respectés.

Parmi les 30 droits fondamentaux qui y figurent, on trouve notamment le droit au logement. Ce droit est inscrit à l'article 25 – en tant qu'élément essentiel du droit à un niveau de vie adéquat.

Un logement adéquat est constitué de bien plus que quatre murs et un toit. Il offre la paix, la sécurité et la dignité. Toute personne doit avoir un accès égal au logement, sans discrimination ni harcèlement.

Bien que le Canada ait joué un rôle clé dans la rédaction de la Déclaration universelle de 1948, il a fallu attendre plus de 70 ans pour que le gouvernement canadien inscrive le droit au logement dans son propre droit national, avec l'adoption de la Loi sur la stratégie nationale sur le logement de 2019.

Cette nouvelle loi a créé le rôle de défenseur fédéral du logement au Canada, et j'ai l'honneur d'être la première à exercer cette fonction, depuis ma nomination en février 2022.

***

Mon travail consiste à faire en sorte que la conversation reste axée sur les droits de la personne.

Les témoignages que j'ai recueillis dans le cadre de mes fonctions au cours des trois dernières années dans tout le pays sont clairs – la crise du logement au Canada est catastrophique pour les populations vulnérables.

Et comme je l'ai mentionné plus tôt, je n'utilise pas ce mot à la légère, mais bien de manière délibérée et au sens littéral.

Cette situation est catastrophique pour les personnes que j'ai rencontrées qui vivent dans des campements, et dont les biens et les tentes ont été saisis et détruits.

Elle est catastrophique pour les mères célibataires avec qui j'ai parlé qui voient le prix de leurs loyers monter en flèche, si bien qu'elles et leurs enfants seront expulsés et n'auront nulle part où aller.

Elle est catastrophique pour les personnes en situation de handicap que j'ai rencontrées qui n'arrivent pas à obtenir le financement nécessaire pour bénéficier des aides dont elles ont besoin pour vivre sans souffrir.

Elle est catastrophique pour les femmes et les jeunes fillescatastrophique qui peuvent être contraintes de rester dans une relation intime, voire une relation abusive, simplement pour rester logées.

Elle est catastrophique pour les personnes âgées au Canada que j'ai rencontrées et qui m'ont raconté que leur logement locatif était en voie de financiarisation, les obligeant à se tourner vers des centres de soins de longue durée qui coûtent trop cher et qui engloutiront le peu d'économies qu'il leur reste.

Elle est catastrophique pour les personnes trans et les personnes issues de la diversité de genre qui vivent dans une pauvreté disproportionnée et qui sont confrontées à un système d'hébergement d'urgence imprégné de binarisme de genre.

Elle est catastrophique pour les jeunes Inuits que j'ai rencontrés au Nunavut qui sont confrontés à la surpopulation, ce qui les empêche de se concentrer sur leurs devoirs ou de prendre des repas réguliers.

Elle est catastrophique pour les communautés métisses que j'ai visitées dans le nord de la Saskatchewan qui n'ont pas de centre d'accueil pour femmes ni de banque alimentaire.

Et elle est catastrophique pour les communautés noires, comme celles de Toronto, qui, selon nos recherches, courent un plus grand risque d'être expulsées et déplacées lorsque des propriétaires corporatifs financiarisés achètent des immeubles pour faire gagner de l'argent à leurs actionnaires.

C'est en leur parlant directement que j'en suis venu à mieux comprendre les obstacles systémiques en matière de logement auxquels les gens font face au Canada en raison de leur race, de leur identité autochtone, de leur revenu, de leur emploi et d'autres facteurs socioéconomiques croisés qui ont façonné leur vie.

Mais il ne s'agit en aucun cas d'une liste exhaustive des types de problèmes de logement qui se posent à la population.

Réfléchissez à ceci :

  • 31 % des personnes en situation d'itinérance au niveau national sont des Autochtones, alors qu'ils ne représentent que 5 % de la population canadienne.
  • 40 % des personnes en situation d'itinérance sont atteintes d'une maladie ou présentent des problèmes de santé.
  • 60 % d'entre elles sont confrontées à des problèmes de santé mentale.
  • 62 % présentent des troubles liés à l'utilisation de substances psychoactives.
  • Et 35 % d'entre elles ont un handicap physique.

Avec autant de personnes confrontées à la fois à l'itinérance et à des problèmes de santé, il est fort probable qu'elles ne puissent pas accéder aux services dont elles ont besoin.

Les experts craignent que ces personnes soient placées en institution non pas parce qu'elles sont prêtes à suivre un traitement, mais parce qu'elles n'ont pas d'autre choix.

C'est le pire scénario qui soit : la déshumanisation, le dépouillement et l'érosion de la dignité humaine, causés par des défaillances systémiques.

Comme beaucoup d'entre nous le savent par expérience personnelle, aucune de ces conséquences catastrophiques n'est liée à des échecs individuels ou à des « choix de vie ».

Il s'agit de défaillances systémiques.

Nous ne faisons que récolter les fruits des politiques, des cadres et du mode de pensée dépassé que nous avons cultivés au fil des générations.

Pour faire évoluer nos politiques et notre réflexion à l'ère moderne, nous devons reconnaître qu'un logement adéquat ne se résume pas à quatre murs et un toit.

***

Ce qui m'amène au troisième point dont je voulais vous parler aujourd'hui.

Un logement adéquat est un besoin fondamental. Il est essentiel au droit d'une personne à vivre dans la dignité, à participer pleinement à la société et à y trouver sa place.

Un logement adéquat c'est beaucoup plus que quatre murs et un toit.

Disposer d'un lieu de vie abordable, adapté et sûr nous apporte la sécurité, la paix et la dignité.

C'est ce qui nous permet, à nous et à nos familles, de réussir et de nous épanouir. Et lorsque des familles et des communautés entières prospèrent, le Canada prospère également.

C'est justement un message que mes collègues de la Commission canadienne des droits de la personne cherchent à transmettre aux décideurs politiques et aux législateurs en ce moment même : lorsque chaque personne au Canada est traitée de manière équitable et dispose de chances égales de participer à la société et de s'épanouir, notre société en sort plus forte et plus unie.

Reconnaître le droit au logement est une étape importante, mais comprendre ce que ce droit signifie pour les gens est une autre paire de manches. Il faut aussi définir à quoi ressemble un logement adéquat.

Le Canada est partie au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et politiques. Le Pacte fournit des orientations pour rendre le logement adapté à la dignité humaine à travers sept critères de base.

Un logement adéquat doit répondre à sept critères de base :

  • Il doit être sécuritaire – et garantir une protection contre l'expulsion arbitraire, la relocalisation forcée ou le harcèlement.
  • Le logement doit disposer des services de base – notamment l'eau potable, les équipements sanitaires, le chauffage, l'éclairage et les services d'urgence.
  • Le logement doit être abordable – le coût du logement ne doit pas empêcher la personne de combler ses autres besoins essentiels comme la nourriture, et l'augmentation abusive de ce coût devrait être interdite.
  • Le logement doit être habitable – les logements doivent être assez spacieux pour les personnes qui y vivent, être bien entretenus et protéger contre les intempéries ou contre toute autre menace à leur santé et à leur bien-être.
  • Le logement doit être accessible – pour les personnes de toutes capacités, surtout celles qui subissent de la discrimination ou qui sont en situation de vulnérabilité.
  • Le logement doit être situé près du lieu de travail et des services sociaux de base, comme les garderies, les écoles et les établissements de soins de santé, en excluant les emplacements pollués ou dangereux.
  • Et le septième critère des Nations Unies pour un logement adéquat est qu'il soit culturellement adapté, c'est-à-dire qu'il respecte l'identité culturelle et le mode de vie de ses occupants et leur permet d'exprimer ces particularités culturelles.

Le problème est là : nous ne disposons d'aucune information ou donnée nous permettant de savoir dans quelle mesure les systèmes canadiens répondent à l'un ou l'autre de ces sept critères d'un logement adéquat.

Nous disposons de nombreuses informations sur les sommes dépensées dans le cadre des programmes fédéraux de logement et sur le nombre d'unités créées, mais très peu sur la manière dont le Canada répond aux sept critères.

  • Nous devons recueillir des données qui sont en lien avec notre objectif, à savoir la réalisation du droit fondamental au logement et la garantie que personne n'est laissé pour compte.

***

Mais que faut-il faire? Quelles solutions pourrions-nous envisager?

C'est le dernier point que je voulais aborder : les solutions.

Premièrement : nous devons obtenir de meilleures données. C'est absolument essentiel.

Et de précieuses leçons peuvent être tirées de notre système de santé à cet égard.

Je m'explique brièvement...

Dans les années 1990, les chercheurs canadiens en santé ont constaté qu'il y avait beaucoup d'informations disponibles sur le coût des systèmes de soins de santé, mais très peu d'informations sur la santé de la population en général.

Sans ces informations, il était pratiquement impossible d'harmoniser et d'améliorer le système de soins de santé pour obtenir de meilleurs résultats pour les patients. Cette lacune a entraîné une transformation de la nature et de la méthode de collecte des informations sur la santé.

L'Institut canadien d'information sur la santé (ICIS) a été créé dans le but de regrouper des ensembles de données, de générer de nouvelles données et, ultimement, faire en sorte que ces informations soient exploitables et permettent d'améliorer la santé des Canadiens et Canadiennes, rendre les services et les produits de santé plus efficaces et renforcer le système de soins de santé canadien.

Il en est issu un système d'information sur la santé centré sur la personne.

L'expérience dans le domaine du logement est similaire.

Là encore, nous disposons de nombreuses informations sur les coûts du logement, mais pas assez sur la qualité du logement, en particulier pour les populations marginalisées et vulnérables.

Autrement dit, il est pratiquement impossible de parvenir à des solutions durables sans disposer des informations et des données adéquates, notamment des données ventilées par origine ethnique, provenant de toutes les sources disponibles et de tous les niveaux de gouvernement.

Une autre partie de la solution passe par la mise en place d'un système de responsabilisation bien défini.

Bref, nous devons SAVOIR comment et où l'argent est investi dans le logement adéquat.

L'un des moyens de garantir cette responsabilité est de recommander au gouvernement fédéral d'utiliser son pouvoir de dépenser pour établir des normes au moyen d'un financement conditionnel et d'accords négociés.

Une fois de plus, tirant les leçons du cadre qui gère notre système de santé, le gouvernement fédéral lie les engagements pris dans la législation au financement accordé aux provinces afin d'obtenir les résultats voulus.

La santé est une compétence partagée, le gouvernement fédéral versant des paiements de péréquation aux provinces pour la prestation de services de santé.

Les conditions liées aux fonds sont le résultat d'accords bilatéraux et de négociations entre les deux niveaux de gouvernement.

Nous disposons ainsi d'un système coordonné au niveau national qui a contribué à façonner les résultats.

Un cadre similaire devrait être développé pour le logement.

Finalement, si nous voulons vraiment résoudre la crise du logement et de l'itinérance au Canada, nous avons besoin de logements et de soutiens adaptés qui répondent aux besoins des personnes.

C'est ce que nous appelons souvent l'approche fondée sur les droits de la personne. Cela signifie qu'il faut veiller à ce que les personnes les plus touchées par cette crise contribuent aux solutions.

Tout le monde doit participer à la recherche de solutions : les personnes qui subissent la hausse des loyers, celles qui vivent dans des conditions de logement précaires, celles qui sont victimes de discrimination intersectionnelle, celles qui sont victimes de violence et celles qui vivent en situation d'itinérance.

Cette approche prend du temps, car elle implique d'établir et de maintenir une relation de confiance.

Mais lorsque cette approche est bien menée, elle permet d'aboutir à des solutions concrètes qui donnent des résultats tangibles.

Ce sont là quelques-unes des solutions possibles présentées dans un rapport récent publié par mon bureau et rédigé par ma formidable collègue et défenseure du droit au logement, la Dre Carolyn Whitzman.

J'espère que nous pourrons les aborder plus en détail au cours de notre discussion.

***

En guise de conclusion, et dans l'attente impatiente de notre discussion, je souhaite nous ramener à ce document fondamental, la Déclaration universelle des droits de l'homme, et à la promesse collective que nous portons tous en nous engageant à ne jamais détourner le regard.

Eleanor Roosevelt a joué un rôle fondamental dans la concrétisation de la Déclaration universelle.

C'est à cette époque qu'elle a prononcé sa célèbre phrase :

« Où commencent les droits de la personne universels? Dans de petits endroits, près de chez nous – si proches et si petits qu'ils ne peuvent être vus sur aucune carte du monde. Pourtant, ils constituent le monde de l'individu :

Le quartier dans lequel il vit, l'école ou le collège qu'il fréquente, l'usine, la ferme ou le bureau où il travaille. Ce sont des lieux où chaque homme, chaque femme et chaque enfant recherche une justice égale, des chances égales et une dignité égale sans discrimination.

Si ces droits n'ont pas de sens là, ils n'en ont guère ailleurs. Sans une action citoyenne concertée pour les faire respecter près de chez nous, nous chercherons en vain à progresser dans le reste du monde. »

Des décennies plus tard, ses paroles sont toujours d'actualité.

Elles nous rappellent qu'au cœur de la crise économique et immobilière qui frappe le Canada se trouvent les droits fondamentaux de chaque individu et le besoin fondamental qui habite chacun et chacune d'entre nous : celui d'avoir un chez soi bien à nous.

Résoudre la crise du logement et mettre fin à l'itinérance nécessitera une grande mobilisation. Et je suis là avec vous. Vos expériences et celles de vos communautés sont essentielles pour comprendre les inégalités auxquelles il faut remédier et les programmes qui porteront leurs fruits.

Il nous faudra faire front commun pour mettre fin à la crise du logement et de l'itinérance.

Je suis convaincue qu'en nous unissant pour défendre les droits de la personne, nous pouvons accomplir de grandes choses.

Merci beaucoup.

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