Allocution présentée : « La condition sociale : La prochaine frontière de l'accès à la justice en matière de droits de la personne »


Notes d'allocution

Charlotte-Anne Malischewski

Présidente intérimaire
Commission canadienne des droits de la personne

La condition sociale : La prochaine frontière de l'accès à la justice en matière de droits de la personne

Allocution présentée à la 24e conférence annuelle sur le droit administratif et les pratiques administratives avancées du Canadian Institute

Le 30 octobre 2024

De 11 h 15 à 11 h 45

Hilton Garden Inn à Ottawa

30 min

LA VERSION PRONONCÉE FAIT FOI

Je vous remercie beaucoup pour cette chaleureuse présentation. Et je remercie l'Institut canadien, ainsi que la présidente, Alyssa, et le président, Michael, d'avoir invité la Commission à participer encore à cette conférence.

C'est merveilleux d'être invitée à rencontrer autant de collègues du droit administratif et de parler avec vous de mon travail si particulier.

Comme on l'a déjà dit, mon nom est Charlotte-Anne Malischewski, et, depuis deux ans déjà, j'occupe la fonction de présidente intérimaire de la Commission canadienne des droits de la personne.

Avant de continuer, il est très important pour moi de souligner que nous sommes réunis ici en territoire traditionnel non cédé de la Nation algonquine Anishnaabeg. Ce lieu est la terre ancestrale du peuple algonquin, et sa présence continue de façonner et d'enrichir les terres et les eaux de cet endroit que l'on nomme Ottawa.

Étant donné qu'un grand nombre de personnes participent à cet événement virtuellement mais à partir d'autres régions du pays, je voudrais aussi souligner et reconnaître que, d'un océan à l'autre à l'autre, nous tenons cette réunion sur les terres ancestrales de nombreux peuples autochtones dont la culture et la présence ont nourri et continuent de nourrir ce territoire.

Je souhaite que cette reconnaissance serve de rappel constructif durant les conversations d'aujourd'hui qui porteront sur l'importance d'éliminer la discrimination et les obstacles persistants que les Autochtones subissent encore. Nous devons poursuivre le processus de réconciliation avec l'humilité, l'ouverture d'esprit et les actions nécessaires.

Aujourd'hui, je vais concentrer mes remarques sur la condition sociale et les droits socio-économiques, un problème qui touche tant de personnes au Canada.

Je crois qu'il est temps de relancer le débat sur une meilleure protection des droits socio-économiques de la population à l'échelon fédéral et sur le droit de vivre sans discrimination fondée sur la condition économique ou sociale d'une personne.

Pour orienter cette conversation renouvelée, je souhaite proposer quelques questions clés.

Mais avant cela, permettez-moi de vous parler un peu plus du travail que nous faisons à la Commission canadienne des droits de la personne, où, en deux ans, j'ai rencontré des personnes parmi les plus attentionnées et les plus compatissantes depuis le début de ma carrière.

La Commission est l'institution nationale des droits de l'homme au Canada.

Notre mission est de soutenir et de promouvoir la réalisation progressive des droits de la personne de chaque personne au Canada.

Nous le faisons de trois principales façons…

Nous défendons les droits de la personne en nous exprimant sur les enjeux et en fournissant au Parlement des conseils impartiaux qui donnent une perspective de droits de la personne sur la manière dont les lois peuvent garantir en toute sécurité les droits des personnes, les libertés des personnes, la dignité des personnes.

De plus, nous recevons et aidons à régler les plaintes relatives aux droits de la personne déposées par des Canadiennes et des Canadiens qui nous disent avoir subi de la discrimination, fondée sur l'un des 13 motifs inscrits dans notre Loi canadienne sur les droits de la personne.

Nous déployons de considérables efforts de modernisation pour assurer l'efficacité et l'équité, afin de garantir que la population canadienne ait un accès libre et accessible au système de justice en matière de droits de la personne.

Et, enfin, point très important, nous contribuons à prévenir la discrimination.

Nous le faisons par la médiation de différends relatifs aux droits de la personne qui mènent souvent à des mesures correctives systémiques.

Et nous y parvenons en collaborant étroitement avec les employeurs sous réglementation fédérale pour veiller à ce qu'ils mettent en place des mesures, en conformité avec le droit canadien, qui contribuent à éliminer les obstacles à l'équité salariale, à l'équité en matière d'emploi, à l'accessibilité et à un logement adéquat – en particulier pour les groupes méritant l'équité au Canada.

Ces activités de prévention sont depuis longtemps au cœur de nos travaux et, ces dernières années – avec l'ajout d'autres mandats pour la Commission et le renforcement de notre processus de médiation dans le cadre de notre modernisation, ces activités de prévention se sont approfondies et élargies.

Notre mandat est vaste.

Nous représentons l'intérêt public dans un éventail d'enjeux liés aux droits de la personne.

Beaucoup des différends en matière de droits de la personne qui ont été portés à notre attention ont conduit à de grands changements pour le Canada.

Qu'il soit question de permettre aux femmes de participer à des missions de combat,
…d'ajouter le sous-titrage aux émissions de télévision diffusées au Canada,
…de rendre accessibles les comptoirs des banques et les bureaux de vote,
…de permettre l'allaitement en milieu de travail,
…de poursuivre les discussions concernant les services de protection de l'enfance dans les communautés des Premières Nations,
…des enjeux qui ont tous émergé grâce à des plaintes déposées en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Chaque jour, la direction des services juridiques de la Commission travaille fort, en aidant les parties à parvenir à des règlements importants, en plaidant certaines affaires devant les tribunaux et en représentant l'intérêt public dans les cas de discrimination que la Commission renvoie devant le Tribunal canadien des droits de la personne.

Dans le cadre de notre engagement continu envers une prestation de services efficiente et efficace, nous mettons en œuvre une approche plus ciblée en matière de litiges et consacrons davantage d'efforts pour aider les parties à régler leurs différends.

Vous conviendrez certainement qu'un dialogue ouvert permet aux parties d'adhérer pleinement au processus de règlement des différends. Il permet aux gens de raconter leurs expériences et d'être entendus, et il aide les parties à dépasser leurs positions tranchées pour trouver des solutions réalistes.

Seulement l'année dernière, notre équipe de médiation et nos services juridiques ont contribué à régler plus de 200 dossiers.

Même si les modalités de la majorité des ententes de règlement ne seront jamais rendues publiques, elles ont vraiment changé la vie des gens.

Dans certains cas, les parties accepteront de rendre publique leur entente de règlement, ce qui nous permet d'en parler sur notre site Web pour donner des exemples d'ententes de règlement satisfaisantes.

Par exemple, l'année dernière, nous avons contribué à résoudre trois cas majeurs de racisme systémique. Chacun d'entre eux a débuté par des plaintes individuelles déposées par des employés du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et de l'Office national du film.

L'an dernier, la Commission a aidé les parties à conclure le premier règlement relatif aux droits de la personne depuis la mise en œuvre des recommandations de l'honorable Louise Arbour qui visent à mettre fin aux inconduites sexuelles dans les Forces armées canadiennes.

Et il y a tellement d'autres règlements – parfois personnels, souvent systémiques – que les parties choisissent de garder confidentiels.

Après deux ans à cette fonction, je suis frappée par deux constats :

  • à quel point la discrimination ordinaire continue d'être malheureusement courante au Canada;
  • à quel point il est important d'avoir un recours indépendant pour permettre aux gens d'avoir accès au système de justice en matière de droits de la personne.

Je suis inspirée par le courage et le dévouement des gens qui ont recours à la loi pour obtenir justice.

Et à quel point la plainte d'une seule personne peut entraîner un important changement systémique pour de nombreuses personnes.

La justice en matière de droits de la personne est avant tout une question de dignité.

Cela m'amène aux sujets que je veux aborder avec vous aujourd'hui.

L'incapacité de payer son logement, d'obtenir des soins de santé et d'avoir assez d'argent pour les moyens de subsistance de base mine le sentiment de dignité et d'autonomie d'une personne.

Pour de nombreuses personnes en situation de handicap, l'iniquité systémique se traduit par un accès inadéquat aux services, ce qui signifie qu'elles continuent de se voir privées de leurs droits de la personne fondamentaux – et qu'elles perdent graduellement leur dignité.

Nous avons même entendu parler ces dernières années de personnes en situation de handicap qui demandent l'aide médicale à mourir parce qu'elles ne peuvent pas obtenir les soins de santé qu'il leur faut. Elles ne trouvent pas de logement accessible. Elles n'ont pas les moyens de payer des médicaments essentiels.

Autrement dit, elles ne peuvent pas vivre dans la dignité, alors elles choisissent de mourir dans la dignité.

Il y a surement moyen de faire mieux.

Les droits de la personne, une vie sans discrimination et les droits socio-économiques fondamentaux sont indissociables.

Par conséquent, depuis des décennies, la Commission parle d'ajouter le motif de la « condition sociale » à la Loi canadienne des droits de la personne.

Au fil des ans, on a compris qu'il s'agissait d'un sujet extrêmement compliqué.

Dans son étude de 2009 sur le sujet, le professeur Wayne MacKay en parle comme étant « les eaux troubles dans lesquelles baigne la reconnaissance de la condition sociale à titre de motif de discrimination dans le contexte des droits de la personne. »

La loi constitutive de la Commission, soit la Loi canadienne sur les droits de la personne, est entrée en vigueur à peine un an après la ratification par le Canada, en 1976, du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

Pourtant, elle ne contenait aucune mesure pour protéger les personnes vivant dans la pauvreté et les personnes victimes de discrimination en raison de leur condition sociale.

La Commission dénonce cette lacune juridique depuis tout ce temps.

Depuis 1976, année où le Canada a ratifié le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le gouvernement avait l'obligation de considérer la pauvreté comme un enjeu de droits de la personne.

C'était il y a plus de 50 ans.

Chaque loi ou code adopté par les provinces et territoires au Canada prévoit une certaine forme de protection contre la discrimination fondée sur la position sociale ou économique d'une personne, autrement dit, sa condition sociale.

Ce genre de protection n'est pas enchâssé dans la législation fédérale.

Tout le monde sait que la pandémie a élargi le cercle de vulnérabilité au Canada.

Nous vivons une crise du logement; nos banques alimentaires sont débordées.

Les gens en arrachent.

On s'accorde de plus en plus à reconnaître que le Canada doit en faire plus pour concrétiser le droit de chaque personne de vivre dans la dignité.

Pour les gens qui subissent déjà d'autres formes de discrimination, le fait de se battre pour faire respecter leurs droits socio-économiques de base représente un autre obstacle à franchir.

Le temps est venu de regarder d'un autre œil – dans une perspective d'après-pandémie – de quelle manière les lois administratives du Canada contribuent à éliminer les profondes disparités en matière d'accès à de la nourriture, à un logement, à des services de santé et à une éducation adéquats, et à d'autres droits socio-économiques...

…et à mieux protéger la population canadienne contre la discrimination fondée sur la condition sociale.

Notre tâche – ici ensemble – est de contribuer à orienter le gouvernement vers les mesures à prendre pour permettre à la population canadienne d'obtenir justice le mieux possible en matière de droits de la personne. Pour atteindre cet objectif, nous devons reprendre les discussions sur les mesures à prendre pour éliminer les lacunes en matière de protections juridiques des droits socio-économiques.

Pour stimuler la discussion d'aujourd'hui, je propose trois questions :

Premièrement : Comment faire pour nous assurer que le langage moderne et la définition de condition sociale sont aussi globaux et inclusifs que possible?

Deuxièmement : Comment faire pour nous assurer que les nouvelles protections donnent la priorité aux droits de la personne des groupes méritant l'équité et les personnes qui subissent depuis longtemps les iniquités de manière disproportionnée au Canada?

Troisièmement : Quel rôle joue la législation administrative fédérale pour ce qui est de protéger les droits socio-économiques des gens, et quelle approche faudrait-il adopter?

J'ai quelques idées.

Mais avant de poursuivre, abordons d'abord le langage.

L'expression « condition sociale » est utilisée depuis longtemps. Il existe de nombreuses définitions.

Le Québec, qui a été la première province à inscrire le motif condition sociale dans sa loi sur les droits de la personne, la définit comme étant « le rang économique ou la position sociale d'une personne ».

De même, la Loi sur les droits de la personne du Nouveau-Brunswick utilise la définition suivante : « condition d'un individu résultant de son inclusion au sein d'un groupe social identifiable et socialement ou économiquement défavorisé ».

Par leurs processus étalés sur des dizaines d'années pour définir ce terme, les provinces nous ont appris que la condition sociale doit être examinée de manière globale.

Qu'elle n'existe pas et ne doit pas exister isolément.

Parce que quand nos droits de la personne les plus fondamentaux ne sont pas respectés, nos autres droits ne veulent pas dire grand-chose.

C'est ce qui explique que le motif de condition sociale a tellement de poids.

L'an dernier, ma collègue et amie, Marie-Josée Houle, qui occupe la fonction de défenseure fédérale du logement au Canada, a parlé de la condition sociale au centre John Humphrey.

Elle a dit :

« L'ajout de ce motif de condition sociale à la Loi canadienne sur les droits de la personne dépasse largement l'accès au logement, l'accès à la santé et l'accès à l'éducation.

C'est la somme plus large de tous les éléments qui, pris ensemble, contribuent au sentiment de dignité et d'autonomie d'une personne.

C'est lutter contre le cycle systémique de la pauvreté qui touche de manière si disproportionnée des groupes subissant déjà de multiples formes de discrimination intersectionnelles.

C'est de voir et de reconnaître le tableau complet de l'expérience vécue d'une personne. »

Dans bien des cas, la condition sociale d'une personne ne peut se dissocier de sa race, de son handicap, de son expérience concernant le colonialisme, de son genre ou de son expression de genre, ou de tout autre aspect de son identité.

On m'a dit que la discrimination intersectionnelle pouvait être comparée à une « mort par mille coupures ».

C'est là où ces coupures se croisent que des formes particulières de discrimination existent et exigent des réactions nuancées.

Par exemple, un Autochtone qui est en situation de handicap et qui vit dans la pauvreté pourrait subir de l'exclusion :

  • dans des espaces culturels qui n'offrent pas une accessibilité physique;
  • dans des services de soutien qui n'offrent pas de sensibilisation aux réalités culturelles;
  • dans les programmes de réduction de la pauvreté qui ne tiennent pas compte des besoins particuliers des Autochtones en situation de handicap.

Cette expérience de vie est très différente des formes d'exclusion que peut subir une personne fortunée qui est autochtone ou qui a un handicap.

Les formes de discrimination intersectionnelles causent une expérience multifacette de situation défavorisée, ce qui représente une difficulté supplémentaire pour les personnes qui doivent surmonter des obstacles socio-économiques.

Ce qui m'amène à mon deuxième point :

Les personnes qui ont le plus besoin de solides protections socio-économiques à l'échelon fédéral sont les mêmes personnes qui se heurtent depuis longtemps aux plus grands obstacles à l'égalité.

Par exemple, les personnes en situation de handicap sont deux fois plus susceptibles de vivre dans la pauvreté que les personnes sans handicap.

La Commission attire l'attention sur cet enjeu grâce au travail que nous accomplissons en tant qu'organisme désigné qui est responsable de la surveillance de l'application, par le Canada, de la Convention relative aux droits des personnes handicapées des Nations Unies.

Techniquement, ce volet de notre travail s'appelle le Mécanisme national de surveillance.

Nous avons reçu cette désignation en 2019, même si nous avions commencé à accomplir cette tâche bien avant cela, de différentes façons.

La Convention relative aux droits des personnes handicapées des Nations Unies vise à promouvoir et à protéger les droits de la personne de toutes les personnes en situation de handicap.

La Commission s'occupe du suivi, ou de la surveillance, de la manière dont s'y prend le Canada pour mettre en œuvre la Convention. Il incombe à la Commission de détecter les lacunes et les problèmes qui doivent être corrigés.

Les lacunes que nous rencontrons sont bien souvent des lacunes socio-économiques.

En 2020, nous avons demandé aux personnes en situation de handicap quels problèmes sont les plus importants pour elles.

Bon nombre d'entre elles ont répondu que le logement était un des principaux problèmes.

Au Canada, les personnes en situation de handicap se heurtent à de nombreux obstacles en matière de logement. De nombreuses personnes sont obligées de vivre dans des établissements de soin.

Elles n'arrivent pas à obtenir le soutien dont elles ont besoin pour vivre de manière indépendante.

De nombreuses personnes n'arrivent pas à trouver une demeure sécuritaire et accessible.

Des personnes ont de la difficulté à payer leur loyer.

Des personnes se retrouvent souvent en situation d'itinérance à cause de ces obstacles.

Comme je l'ai déjà dit, dans quelques cas troublants, des personnes en situation de handicap ont demandé l'aide médicale à mourir parce qu'elles n'arrivaient pas à trouver le logement ou le soutien dont elles avaient besoin.

Il faut éviter cela.

Cette année, la Commission a publié son cadre de surveillance sur le droit à un logement adéquat pour les personnes en situation de handicap. En partenariat avec la défenseure fédérale du logement du Canada, le projet vise à fouiller en profondeur les données publiques.

Nous recueillons des renseignements sur les conditions de logement des personnes en situation de handicap au Canada.

Nous utilisons donc ces renseignements pour exiger des changements.

À ce point-ci, les données confirment déjà que les personnes en situation de handicap au Canada sont surreprésentées dans tous les aspects de logement inadéquat et de l'itinérance.

Les données montrent que les personnes en situation de handicap :

  • sont quatre fois plus susceptibles de se retrouver en situation d'itinérance;
  • sont plus susceptibles de vivre l'itinérance à cause de la violence;
  • sont plus susceptibles de vivre dans un logement inabordable;
  • vivent dans une demeure qui n'offre pas les aides physiques dont elles ont besoin.

Dans la même étude de 2009 que j'ai mentionnée plus tôt concernant la protection des droits socio-économiques, le professeur MacKay a cité la phrase suivante : la pauvreté découle fréquemment d'autres formes d'inégalité, comme celle fondée sur la race ou [le handicap].

Pour de nombreuses personnes autochtones, noires ou membres d'un autre groupe racisé au Canada, le racisme et les obstacles socio-économiques qu'elles rencontrent au quotidien s'entremêlent.

Bien souvent, il est difficile de les démêler.

Parce que si on ne vous donne pas accès à l'éducation, accès à un emploi, accès à des emprunts bancaires, ou des possibilités d'emploi ou d'avancement professionnel en raison de la couleur de votre peau, il n'y a pas grand-chose qui vous évitera de vous retrouver dans une situation économique désastreuse.

Et si vous tombez dans cette situation économique désastreuse, il est plus difficile de remonter la pente si vous devez lutter contre le racisme systémique et interpersonnel jusqu'en haut de la montagne.

Il existe un domaine d'étude émergent sur une forme particulière de racisme axé sur la situation socio-économique que nous avons étudié et examiné de près à la Commission.

Cela dépend du lieu géographique actuel où vit une personne – et comment ce lieu a des répercussions sur le respect de ses droits de la personne et sur leur sentiment de liberté.

Autrice de « There's Something in the Water », Ingrid Waldron l'a exprimé de la façon suivante quand nous l'avons interrogée pour la rédaction de l'un de nos rapports annuels. Elle a dit : « Au Canada, votre code postal est un déterminant de votre état de santé. »

Cet enjeu de droits de la personne s'appelle le racisme environnemental ou l'injustice environnementale.

En gros, on parle d'un modèle destructeur dans notre société dans lequel les communautés autochtones ou noires et d'autres communautés racisées doivent vivre près d'industries polluantes et d'activités dangereuses pour l'environnement.

On parle des conséquences négatives que le fait de vivre dans ces zones a sur la santé et les droits de la personne des résidentes et résidents à faible revenu.

C'est un problème grave, mais il y a des nouvelles encourageantes.

C'est seulement cette année que le Parlement a enfin adopté le projet de loi C-226, Loi concernant l'élaboration d'une stratégie nationale visant à évaluer et prévenir le racisme environnemental ainsi qu'à s'y attaquer et à faire progresser la justice environnementale.

C'est une victoire qui était réclamée par bien des défenseurs de droits, y compris la Commission.

C'est seulement l'année dernière que nous avons organisé une table ronde pour avoir une conversation sur ce sujet avec des militants, des défenseurs, des universitaires et des personnes ayant une expérience vécue.

Ces gens nous ont parlé des facteurs complexes et interreliés qui entrent en jeu dans le racisme environnemental au Canada, y compris le rôle du colonialisme et du mépris pour les savoirs autochtones.

Ces gens nous ont parlé des effets nocifs du racisme environnemental sur le droit de la personne à un logement adéquat et sur la santé des communautés et des personnes touchées.

Une personne qui a participé en tant que spécialiste a déclaré ce qui suit :

« La norme que nous avons, à savoir que les personnes à faible revenu vivent dans des environnements pollués, est vraiment la cible. À mon avis, nous pouvons changer cette norme et c'est là-dessus que nous devons nous concentrer. »

L'adoption du projet de loi C-226 est un pas dans la bonne direction.

Mais le racisme environnemental et l'injustice environnementale doivent rester un point fondamental de toutes les conversations sur les mesures à prendre pour faire en sorte que toutes les personnes au Canada puissent vivre sans discrimination fondée sur leur condition sociale.

Donc, j'ai abordé la nécessité d'une définition globale de la condition sociale.

J'ai abordé la nécessité de comprendre les obstacles à l'égalité qui se chevauchent et sur l'importance, pour les groupes méritant l'équité, de comprendre la notion de condition sociale en lien avec d'autres formes de discrimination.

Il faut certainement faire valoir que l'élargissement de la protection des droits de la personne génère une amélioration de l'égalité réelle.

Lorsqu'il est question de mieux protéger la population canadienne contre la discrimination fondée sur la condition sociale, un choix devient évident, celui de l'ajouter aux motifs de discrimination en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Chaque loi relative aux droits de la personne adoptée par les provinces et les territoires prévoit une forme de protection contre la discrimination fondée sur la position sociale et économique, ou la condition sociale, d'une personne.

Alors, pourquoi ne pas enchâsser la même protection dans la législation fédérale?

Bien des arguments contre cette idée concernent le genre de difficultés pratiques qui en découlerait. Des difficultés comme :

…la complexité liée à la définition de ce type de discrimination;
…la pression sur nos ressources déjà limitées qui pourrait causer une accumulation de dossiers – le résultat possible de la réception de nouvelles plaintes invoquant ce motif – qui pourrait embourber nos systèmes et ceux du Tribunal;
…la possibilité que ce nouveau motif fasse ombrage à d'autres motifs de discrimination déjà inscrits;
…le risque que de longues procédures judiciaires soient entamées concernant la définition ou l'application de ce motif.

Certaines personnes feront aussi valoir que la législation sur les droits de la personne est le mauvais outil pour régler le problème, que l'article 15 de la Charte – par exemple – convient mieux pour s'occuper du problème que les lois destinées à lutter contre la discrimination.

À cela, je répondrais que la Loi canadienne sur les droits de la personne n'a jamais été l'outil exclusif pour protéger les droits de la personne dans les domaines de compétence fédérale.

C'est un outil parmi beaucoup d'autres.

Ce serait la même chose pour un nouveau motif.

En effet, les universitaires favorables à l'ajout d'un nouveau motif ont fait remarquer que la flexibilité et l'accessibilité indissociables des institutions des droits de la personne nous positionnent comme un élément important d'un ensemble plus vaste et global de protections dans ce domaine socio-économique des droits de la personne.

Sur ce, pour conclure, je nous invite tous et toutes – en tant que professionnelles et professionnels du droit administratif – à réfléchir à ce dont la justice relative aux droits de la personne pourrait avoir l'air si nous reconnaissions l'importance fondamentale des droits socio-économiques.

Tribunaux administratifs, organismes, commissions d'examen, avocates et avocats, défenseures et défenseurs et organisations de protection des droits de la personne – nous avons notre propre point de vue sur cette question.

Alors, ensemble, nous pouvons dresser un portrait plus global, pour monter un dossier étoffé pour la justice et pour la solution qui servira le mieux l'intérêt public.

Le problème de la pauvreté et de la discrimination socio-économique au Canada est important.

De son côté, le concept de condition sociale est vaste.

Il touche tellement d'aspects de la vie d'une personne, de la dignité humaine, de la liberté des gens.

Et il a des conséquences indissociables de grande envergure en matière de droits de la personne.

Donc, comment pourrions-nous seulement penser que la discrimination fondée sur un enjeu aussi vaste puisse être abordée au moyen d'une approche qui ne soit pas au moins multifacette, globale et collective?

Une approche qui prévoit une voie nette vers la justice en matière de droits de la personne ainsi qu'une fonction de traitement des plaintes, mais une approche qui prévoit aussi des mesures proactives destinées à améliorer la crise du logement, les soutiens sociaux et les structures fondées sur la communauté en vue d'aider les gens à avoir une meilleure qualité de vie.

J'ai très hâte de poursuivre cette conversation avec vous tous et toutes.

Merci.

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