Aperçu
Le Canada se trouve à un tournant décisif. Pour résoudre la crise du logement, il ne suffit pas d'accélérer l'offre. Il faut également s'assurer que le type de logement proposé soit adéquat – guidé par des définitions claires, des objectifs mesurables et un engagement ferme envers les droits de la personne. Une série de changements de politique au cours de la dernière génération – notamment la réduction des investissements fédéraux dans le logement hors marché, l'assouplissement des critères d'abordabilité et la financiarisation croissante du secteur – a contribué à la hausse de l'itinérance, de l'inaccessibilité financière et de la précarité du logement partout au pays.
Ces conseils au ministre arrivent à point nommé, alors que le gouvernement fédéral prépare la prochaine phase de la Stratégie nationale sur le logement, dont la première période se termine en 2027–2028, et qu'il se prépare à déployer de nouveaux outils stratégiques, tels que Maisons Canada. Ces conseils s'appuient sur le consensus grandissant parmi les spécialistes des droits de la personne, les experts en logement et les acteurs communautaires, et préparent le terrain pour des recommandations plus détaillées qui seront présentées dans un prochain rapport pour le compte du Bureau du défenseur fédéral du logement, rédigé par la Dre Carolyn Whitzman, une grande spécialiste des politiques de logement fondées sur les droits au Canada.
Inspirés des travaux accomplis jusqu'à présent par la défenseure fédérale du logement, ces conseils exhortent le gouvernement à prendre des mesures énergiques et concrètes afin de réaligner la stratégie canadienne sur le logement avec ses obligations en matière de droits de la personne. Cela signifie :
- Recalibrer la Stratégie nationale sur le logement, y compris ses définitions, cibles et programmes, pour donner la priorité aux personnes qui en ont le plus besoin
- Accroître l'offre de logements hors marché en tant que pierre angulaire du leadership fédéral en matière de logement
- Renforcer la coordination entre tous les ordres de gouvernement afin d'intégrer la transparence, la responsabilité et l'équité dans les politiques et les pratiques en matière de logement
- Faire de Maisons Canada un levier pour la mise en œuvre des politiques de logement fondées sur les droits
- Mettre l'expérience vécue au cœur des approches et mobiliser les collectivités comme partenaires clés dans l'élaboration de solutions de logement
Le Canada dispose des outils stratégiques, du soutien public et de l'assise législative nécessaires pour assumer un rôle de chef de file en matière de droit au logement. Ce qu'il faut maintenant, c'est la volonté politique de mettre en œuvre une approche plus ciblée, coordonnée et équitable – une approche qui place les personnes au centre et veille à ce que personne ne soit laissé pour compte.
Considérations
De nombreuses critiques ont été formulées à l'égard des programmes de la Stratégie nationale sur le logement. On leur reproche notamment de ne pas être conforme à la Loi sur la stratégie nationale sur le logement, de ne pas utiliser la définition de logement abordable de la Société canadienne d'hypothèques et de logement, et de ne pas cibler les besoins des personnes les plus vulnérables.
- L'Initiative pour la création rapide de logements, axée sur l'abordabilité des logements hors marché destinés aux ménages à faible revenu, a permis de livrer 57 % des nouveaux logements tout en ne recevant que 7 % des fonds totaux. Cela suggère que les programmes ciblant les Canadiens et Canadiennes les plus vulnérables pourraient être plus efficaces en matière d'offre globale de logements, de rentabilité et de réalisation des objectifs fondés sur les droits.
- La Stratégie nationale sur le logement ne parvient pas à atteindre ses objectifs, car ses programmes sont peu alignés avec les cibles fixées et que la perte nette de logements abordables se poursuit malgré la mise en œuvre de la Stratégie nationale sur le logement.
- Au rythme où sont construits les logements hors marché abordables destinés aux Canadiens et Canadiennes à très faible revenu et à faible revenu, il faudrait au moins 1 000 ans pour mettre fin à l'itinérance et répondre aux besoins en matière de logement.
Établir des cibles reflétant les besoins – Vers un nouveau continuum de logement
Plutôt que de fixer des cibles basées sur les « sept étapes » traditionnelles du continuum du logement, il est vivement recommandé de réorienter les cibles et les programmes afin de mieux répondre aux besoins des ménages selon leurs catégories de revenus. De manière générale, ces besoins peuvent être regroupés en trois grandes catégories, reflétant les profils dans lesquels les personnes peuvent évoluer tout au long de leur vie :
- Les logements très abordables destinés aux ménages à très faible revenu et faible revenu, incluant les logements avec services de soutien, les logements pour aînés et les logements pour étudiants, ciblent les ménages dont le revenu est compris entre 0 et 50 % du revenu médian régional, soit environ 20 % des ménages. Ces logements sont généralement financés par des subventions et des fonds accordés à des organismes à but non lucratif offrant des logements hors marchés (logements communautaires, notamment les logements sociaux et les coopératives de logement) et s'appuient sur des réformes des systèmes de réglementation. En général, il s'agit de logements locatifs.
- Les logements abordables destinés aux ménages à revenu moyen et médian, qu'il s'agisse de personnes seules, de couples ou de familles, ciblent les ménages dont le revenu est compris entre 51 et 120 % du revenu médian régional, soit environ 40 % des ménages. Ces logements sont rendus possibles grâce à un financement soutenant les fournisseurs de logements hors marché, ainsi qu'à des réformes réglementaires visant à appuyer les promoteurs et fournisseurs de logements du marché et hors marché. Il peut s'agir de logements locatifs ou de logements occupés par leurs propriétaires.
- Les logements destinés aux ménages à revenu élevé, qu'il s'agisse de personnes seules, de couples ou de familles, ciblent les ménages dont le revenu est de 121 % et plus du revenu médian régional, soit environ 40 % des ménages. Ces logements sont rendus possibles grâce à des réformes des systèmes réglementaires, mais ne bénéficient généralement pas de soutien financier public. Il peut s'agir de logements locatifs ou de logements occupés par leurs propriétaires.
Solutions
1- Recalibrer la Stratégie nationale sur le logement afin de mieux l'aligner avec la Loi sur la stratégie nationale sur le logement
- a. Donner la priorité au logement hors marché
Pour se conformer à la Loi sur la stratégie nationale sur le logement, le gouvernement fédéral doit prendre l'initiative d'élaborer un plan à long terme visant à mettre fin à l'itinérance et aux besoins en matière de logement, ainsi qu'à les prévenir. Le moment est idéal pour concevoir et mettre en œuvre la prochaine phase d'une Stratégie nationale sur le logement 2.0, recalibrée et ambitieuse. Pour combler le déficit de 3 millions de logements pour les ménages à très faible et faible revenu, le gouvernement fédéral doit s'engager à ce qu'au moins 20 % du parc de logements au Canada soit composé de logements hors marché d'ici 2055. Pour cela, 40 % de tous les nouveaux logements construits devront être des logements hors marché, et des efforts ambitieux devront être déployés en matière d'acquisition et de réaménagement.
- b. Assurer une coordination et une collaboration entre tous les ordres de gouvernement
Le gouvernement fédéral doit négocier une nouvelle génération d'accords multilatéraux et bilatéraux avec les provinces et territoires, incluant des cibles fondées sur les droits de la personne, ainsi que des mécanismes transparents de communication et de responsabilité. Tous les gouvernements devraient s'engager à atteindre un objectif de 20 % de logements hors marché. Tous les gouvernements devraient fournir des données sur les logements achevés. Tous les gouvernements devraient mettre l'accent sur des mécanismes visant à préserver les logements abordables (acquisitions par des fournisseurs de logements hors marché, réglementation des loyers, prévention des expulsions, rénovation), prévenir l'itinérance liée aux expulsions, et améliorer la construction de nouveaux logements. Les cibles annuelles pour les provinces, territoires, municipalités et régions devraient être liées aux transferts du gouvernement fédéral en matière d'infrastructure, de services sociaux et de santé.
2- Mettre en place des objectifs, indicateurs et rapports basés sur une approche fondée sur les droits de la personne
Le gouvernement fédéral devrait utiliser les catégories fondées sur le revenu régional, déjà intégrées aux évaluations municipales obligatoires des besoins en matière de logement, afin de cibler les personnes ayant le plus besoin d'un logement. Des données sur les logements achevés devraient être fournies. Le gouvernement fédéral doit permettre la construction d'au moins 100 000 logements très abordables par année afin de répondre à l'augmentation du nombre de personnes en situation d'itinérance, en tenant compte du fait que ce nombre pourrait devoir être revu à la hausse au fil du temps pour faire face à cette crise générationnelle.
L'évaluation des besoins en matière de logement devrait être révisée pour inclure les personnes en situation d'itinérance, celles vivant dans des logements collectifs et les étudiants de niveau postsecondaire, ainsi que pour inclure des critères d'accessibilité, de localisation et de sécurité d'occupation. Ces objectifs devraient s'appuyer sur des définitions uniformes et conformes aux droits en matière d'abordabilité, par exemple 30 % du revenu brut avant impôts du ménage ou 40 % du revenu net après impôts, plutôt que sur la proportion du loyer médian ou des prix du marché immobilier.
La Stratégie nationale sur le logement requiert un cadre solide de surveillance et de responsabilisation. Les examens triennaux prévus à l'article 18 (1) de la Loi sur la stratégie nationale sur le logement n'ont pas permis une évaluation transparente ni un réajustement adéquat de la stratégie. En s'inspirant de cette expérience, le gouvernement fédéral devrait garantir que la Stratégie nationale sur le logement fasse l'objet d'un examen indépendant tous les cinq ans, en s'appuyant sur les données du recensement disponibles pour mesurer les résultats (par exemple, en 2028, 2033, 2038, 2043, 2048, 2053) et selon sa capacité à réaliser ces examens. Le gouvernement fédéral devrait également publier des rapports d'étape annuels faisant état des logements achevés, ainsi que leurs loyers, charges ou prix de vente, ventilés par catégorie de revenu abordable, et incluant, lorsque disponibles, des données démographiques telles que l'âge, la taille du ménage, le handicap et le sexe.
3- Veiller à ce que Maisons Canada dispose d'un mandat clair et des ressources nécessaires pour soutenir efficacement la construction de logements hors marché
Le mandat de Maisons Canada devrait être établi de manière à permettre l'atteinte des objectifs législatifs énoncés aux articles 4 et 5 de la Loi sur la stratégie nationale sur le logement. Ce nouvel organisme doit tirer les leçons des lacunes de la première mouture de la Stratégie nationale sur le logement et accorder la priorité à l'augmentation de l'offre de logements hors marché.
Comme il est indiqué dans l'aperçu, résoudre la crise du logement au Canada nécessitera un effort générationnel pour corriger les échecs des politiques passées – un effort qui commence par un approvisionnement adéquat en logements, fondé sur des définitions claires et des mesures efficaces permettant de prioriser ceux qui en ont le plus besoin. La création de Maisons Canada représente une occasion déterminante d'opérationnaliser les engagements prévus par la Loi sur la stratégie nationale sur le logement et de faire progresser le système fédéral du logement vers la réalisation progressive du droit au logement.
Cette nouvelle institution doit aller au-delà de l'exécution : elle doit être mandatée et outillée pour agir comme un instrument politique national ayant un objectif public clair : étendre et préserver le parc de logements hors marché, et s'assurer que les investissements fédéraux se traduisent par une véritable abordabilité, une équité et une responsabilité à long terme.
Principes pour guider le mandat de Maisons Canada
Pour atteindre cet objectif, Maisons Canada doit s'appuyer sur les principes suivants, ancrés dans une approche fondée sur les droits et orientée vers l'action :
- S'aligner avec la Loi sur la stratégie nationale sur le logement
Ancrer toutes les actions dans l'objectif statutaire de la Loi sur la stratégie nationale sur le logement, qui consiste à réaliser progressivement le droit au logement, à donner la priorité aux besoins des groupes marginalisés et à favoriser un engagement significatif avec les titulaires de droits et les communautés. - Fournir un approvisionnement en logements hors marché très abordables
Établir un objectif clair visant à permettre la construction ou l'acquisition d'au moins 100 000 logements très abordables chaque année, en vue de s'assurer que 20 % du parc de logements du Canada soit composé de logements hors marché d'ici 2055. Cela devrait inclure des subventions, du financement, ainsi que l'accès à des terres pour les coopératives, les organismes à but non lucratif et le logement social. - Préserver les logements abordables existants
Mettre en œuvre une stratégie nationale d'acquisition visant à prévenir toute perte nette de logements abordables, notamment par le transfert de logements locatifs à risque aux fournisseurs et locataires de logements hors marché. Lier le financement à la protection des locataires, à des garanties d'abordabilité solides et à des mesures efficaces de prévention des expulsions. - Soutenir et faire évoluer l'écosystème
Créer une liste nationale de promoteurs et d'agrégateurs de logements hors marché préqualifiés, et financer des partenariats entre ces promoteurs qualifiés et de nouveaux fournisseurs de logements communautaires. Veiller à ce que le soutien au renforcement des capacités atteigne pleinement les organisations autochtones, noires, racisées, ainsi que celles dirigées par des personnes en situation de handicap. - Utiliser des normes d'abordabilité fondées sur le revenu
Tous les logements soutenus par Maisons Canada doivent respecter des définitions uniformes de l'abordabilité – telles que 30 % du revenu brut ou 40 % du revenu net – plutôt que des critères basés sur les lois du marché. Les logements devraient être classés selon des tranches de revenu afin de garantir transparence et équité. - Tirer parti des terres, de la réforme réglementaire et de l'innovation en matière de conception
Privilégier l'utilisation des terres publiques, la construction modulaire et rapide, ainsi que les approbations simplifiées pour des conceptions préapprouvées, afin d'accélérer les délais de livraison, notamment dans les régions mal desservies. - Exiger des mesures et des rapports transparents
Maisons Canada doit publier chaque année des rapports d'étape désagrégés, précisant le nombre de logements achevés par tranche de revenu, taille des unités, type d'occupation et populations prioritaires. Ces données doivent être analysées en fonction des indicateurs actualisés relatifs aux besoins en matière de logement et aux résultats fondés sur les droits.