Alors que la défenseure fédérale du logement entame un nouveau mandat de trois ans, elle réfléchit à la nécessité de s'attaquer à la crise du logement comme l'un des défis sociaux et économiques les plus urgents auxquels le pays est confronté
Marie Josée Houle, Défenseure fédérale du logement
Je suis honorée d’avoir été reconduit pour un deuxième mandat en tant que Défenseure fédérale du logement du Canada jusqu’en 2028. Les 30 premiers jours de mon nouveau mandat ont réaffirmé l’urgence d’avancer le droit de la personne à un logement adéquat.
La crise du logement demeure l’un des défis sociaux et économiques les plus pressants auxquels le pays est confronté, nécessitant une action gouvernementale immédiate et coordonnée. Mon bureau continue de s’engager avec les titulaires de droits, d’amplifier les voix des personnes ayant une expérience vécue et de faire pression pour des mécanismes de responsabilisation significatifs afin de s’assurer que les gouvernements respectent leurs obligations en matière des droits de la personne.
L’abordabilité du logement devient de plus en plus incertaine, exacerbée par l’inflation et la hausse du coût de la vie. En outre, les tensions commerciales persistantes introduisent une instabilité économique supplémentaire, rendant plus difficile pour les individus et les familles de maintenir leur sécurité en matière de logement. Ces défis soulignent la nécessité pour les futurs gouvernements de prendre des mesures proactives et de trouver des solutions à long terme qui donnent la priorité à l’abordabilité, la stabilité et les droits de la personne dans les politiques de logement.
Le gouvernement fédéral doit donner la priorité au approches fondées sur les droits de la personne en matière du logement et de l’itinérance. La voie à suivre doit non seulement répondre aux besoins immédiats des personnes en situation de précarité en matière de logement, mais aussi créer une stratégie durable et à long terme pour garantir que chaque personne au Canada ait accès à un logement adéquat. La crise du logement et de l’itinérance peut être résolue, mais seulement si les décisions politiques reflètent l’urgence et l’ampleur du défi. Le gouvernement devra s’engager à adopter une approche fondée sur les droits de la personne, en alignement avec la Loi sur la stratégie nationale sur le logement, qui dépasse les mesures temporaires et les cycles de financement à court terme.
Bien que des progrès ont été réalisés, des obstacles systémiques persistent. L’engagement récent du gouvernement fédéral de 250 millions de dollars pour des interventions fondées sur les droits de la personne en matière des campements est un avancement. Nous savons qu’il faut faire davantage pour assurer un financement durable, une coordination des politiques et des mécanismes de responsabilisation qui protègent les droits de ceux qui sont le plus touchés par l’insécurité du logement.
Renforcer les mécanismes de responsabilisation en vertu de la Loi sur la stratégie nationale sur le logement (LSNL)
Le gouvernement fédéral doit renforcer son engagement envers les structures de responsabilisation établies en vertu de la LSNL et garantir qu’ils ont un financement durable à long terme. Cela comprend la réponse active aux recommandations de la Défenseure fédérale du logement, du Conseil national du logement et des commissions d'examen, ainsi que la mise en œuvre d'un plan d'action pour lutter contre la financiarisation des logements locatifs et l'élaboration d'un Plan d'intervention national sur les campements impliquant tous les ordres de gouvernement, le leadership autochtone et les personnes
ayant une expérience vécue.
Les campements restent l'une des manifestations les plus visibles et urgentes de la crise du logement. Une approche nationale doit garantir que toutes les réponses aux campements soient axées sur les principes des droits de la personne, avec des engagements clairs pour prévenir les expulsions forcées, fournir un accès à des services adéquats et assurer une participation significative des résidents des campements.
Le gouvernement fédéral doit surveiller la mise en œuvre des plans d'action communautaires fondés sur les droits de la personne financés par l'Initiative de lutte contre l'itinérance et les campements, documenter les leçons apprises et amplifier les interventions positives. De plus, les terres fédérales doivent être incluses dans ce cadre, avec une interdiction claire des expulsions forcées et des engagements à fournir des alternatives de logement aux personnes vivant dans les campements. En fin de compte, les résidents des campements doivent avoir accès à des options de logement permanent et adéquat.
En outre, les processus participatifs en vertu de la LSNL doivent être renforcés afin de permettre l'engagement continu de la société civile et des personnes ayant une expérience vécue dans l'élaboration des politiques de logement.
Mise en œuvre d'une approche pangouvernementale en tant que droit au logement
Le leadership fédéral doit être renforcé par une approche fondée sur les droits de la personne dans toutes les politiques de logement. Cela nécessite un engagement à utiliser un langage axé sur les droits de la personne dans les communications publiques, à éviter la stigmatisation des personnes en situation d'itinérance et à s'assurer que tous les responsables des politiques en matière de logement et d'itinérance reçoivent une formation sur les droits de la personne, les droits autochtones, l'analyse comparative entre les sexes et les approches informées par les traumatismes et la violence.
L'éducation du public sur le droit à un logement adéquat doit être renforcée en utilisant les ressources du Bureau du Défenseur fédéral du logement, de la société civile et des organismes statutaires des droits de la personne. De plus, le gouvernement fédéral doit adopter des indicateurs de résultats fondés sur les droits de la personne pour évaluer l'efficacité des politiques et programmes de logement, en veillant à ce que la collecte de données reflète les expériences de logement de toutes les personnes, en particulier celles les plus vulnérables aux obstacles systémiques.
Les efforts législatifs, politiques et financiers des gouvernements fédéral, provinciaux, territoriaux et municipaux doivent être harmonisés afin d'assurer une coordination entre la construction, la gestion et de l'entretien des logements. Cela implique également de renforcer les liens avec d'autres secteurs qui influencent l'accès à un logement adéquat, notamment le respect des droits des Autochtones, l'accès aux soins de santé et de santé mentale, et des services de soutien social adéquats, entre autres. Une approche politique cohérente, centrée sur les populations les plus défavorisées, est essentielle pour éliminer les obstacles et garantir que les solutions de logement répondent aux besoins des personnes les plus touchées par la crise.
Investir dans le logement des Premières Nations, des Inuits et des Métis
Les droits inhérents au logement des peuples autochtones doivent être respectés, comme le stipulent la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) et la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (LDNU).
Les populations autochtones en milieu urbain font face à des défis particuliers, notamment un accès inadéquat à des services culturellement appropriés, des obstacles systémiques au logement abordable et une surreprésentation dans les campements. Les politiques fédérales, provinciales et municipales doivent explicitement répondre à ces enjeux et garantir un financement ciblé pour les organisations dirigées par des Autochtones, telles que les Centres d'amitié, afin de mener les efforts en matière de logement et de réponse aux campements. L'établissement de mécanismes financiers dédiés contribuera à combler les lacunes juridictionnelles et à fournir des solutions de logement durables à long terme pour les communautés autochtones en milieu urbain.
Une structure formelle de gouvernance et de responsabilisation pour le logement autochtone doit être maintenue, incluant des mécanismes de financement à long terme et de coordination des politiques. Les gouvernements métis, inuits et des Premières Nations doivent être soutenus dans la gestion et la mise en œuvre de solutions de logement qui reflètent l'autonomie gouvernementale et les besoins spécifiques des communautés.
Répondre aux besoins identifiés dans les rapports de la Défenseure
- Logement des Inuit – Nunatsiavut : Les gouvernements fédéral et provincial doivent coordonner leurs efforts avec le gouvernement du Nunatsiavut afin d'assurer un investissement soutenu aux solutions de logement pour les Inuits. Cela comprend la mise en place de structures formelles de gouvernance pour surveiller les engagements ainsi qu’un financement opérationnel à long terme permettant de maintenir l'abordabilité et la qualité des logements.
- Logement des Inuit – Nunavut : Le gouvernement fédéral doit respecter ses engagements en vertu du plan Angirratsaliulauqta de NTI – le Plan d’action sur le logement des Inuits du Nunavut – en assurant une stratégie à long terme et bien financée, répondant aux besoins spécifiques des communautés inuits en matière de logement. Un engagement politique entre les dirigeants du Nunavut, NTI et les représentants fédéraux est essentiel pour faire progresser ces engagements.
- Conditions de logement des Métis : Le financement destiné au logement des Métis doit être aligné sur les ententes d'autonomie gouvernementale ainsi que sur des engagements financiers à long terme, et abandonner les modèles de financement de courte durée fondés sur des propositions. Le gouvernement fédéral doit appuyer la Métis Nation–Saskatchewan dans l'élaboration de solutions de logement durables, adaptées à leurs structures de gouvernance et aux priorités communautaires.
Des mesures immédiates sont nécessaires pour traduire ces engagements en actions concrètes, éliminant ainsi les obstacles systémiques et financiers qui empêchent la réussite des initiatives de logement dirigées par les Autochtones. Dans le cadre de mon prochain mandat, j’ai l’intention de mener un examen fondé sur les droits de la personne concernant le logement des Premières Nations, en collaboration avec les titulaires de droits et les organisations représentatives concernées.
Renforcer la Stratégie nationale sur le logement et le Plan du Canada sur le logement
Afin de renforcer les investissements existants dans la Stratégie nationale sur le logement et le Plan du Canada sur le logement, le gouvernement fédéral doit accorder la priorité au logement hors marché ainsi qu’aux soutiens ciblés destinés aux personnes en situation d’itinérance et de précarité du logement. Un objectif national doit être établi pour veiller à ce qu’au moins 20 % du parc locatif soit composé de logements hors marché, avec une cible intermédiaire à plus court terme consistant à atteindre le seuil de 7 % le plus rapidement possible.
Les aides au revenu doivent être indexées à l’inflation et conçues également pour garantir la stabilité du logement.
En outre, la Charte des droits des locataires doit être promulguée, renforcée et rendue plus complète en intégrant des programmes d’aide au loyer, des protections contre les expulsions et de solides mécanismes d’application pour tenir les propriétaires responsables.
Les principes de logements adaptables doivent être intégrés à toutes les stratégies en matière de logement, ce qui exige une expansion des normes d’accessibilité dans le Code national du bâtiment.
Le gouvernement fédéral doit également agir immédiatement, en collaboration avec les gouvernements provinciaux et territoriaux, pour prévenir les expulsions chez les jeunes. Au cours de la prochaine année, mon bureau travaillera aux côtés de la société civile et des organisations jeunesse afin de mener un examen des politiques et des investissements visant à renforcer la sécurité d’occupation des jeunes et à prévenir les expulsions menant à l’itinérance. Cet examen permettra d’identifier les lacunes systémiques et d’orienter des mesures politiques concrètes que les gouvernements pourront adopter afin de garantir le logement en tant que droit fondamental pour les jeunes.
Façonner la prochaine Stratégie nationale sur le logement
Un processus de mobilisation doit être lancé avant la fin de 2025–2026 afin d’orienter l’élaboration de la prochaine Stratégie nationale sur le logement après 2028. Ce processus doit garantir une participation significative de la société civile, des personnes ayant une expérience vécue et des principaux intervenants. Les leçons tirées de la stratégie actuelle et du Plan du Canada sur le logement doivent être documentées, et les futures stratégies de logement doivent explicitement reconnaître les obligations prévues par la DNUDPA et la LDNU.
Un cycle structuré d’évaluation triennale doit être mis en place, avec la contribution de la Défenseure fédérale du logement, du Conseil national du logement et des groupes en situation de vulnérabilité, conformément à la LSNL, afin d’évaluer et d’améliorer continuellement les politiques du logement. La Défenseure fédérale du logement doit avoir un siège aux discussions intergouvernementales sur le logement, afin de veiller à ce que les gouvernements provinciaux, territoriaux et municipaux appuient le respect de leurs obligations en matière de droits de la personne et que les futurs accords fédérauxprovinciaux continuent de refléter le logement comme un droit fondamental.
Besoin urgent d’un financement durable
Le travail de la Défenseure fédérale du logement est menacé en raison d'une réduction drastique de financement. Le budget fédéral de 2024 a entraîné une réduction de plus de 50 % du financement accordé au Bureau de la Défenseure fédéral du logement. Malgré la prolongation du mandat de la Défenseure jusqu'en 2028, le financement actuel prendra fin en mars 2026. Sans ressources adéquates, la capacité de tenir les gouvernements responsables, de mener des examens indépendants et de mobiliser efficacement les titulaires de droits, comme le prévoit la loi canadienne en vertu de la LSNL, sera compromise.
Un engagement de financement durable est nécessaire afin que le Bureau du Défenseur fédéral du logement puisse poursuivre son travail essentiel de surveillance et de promotion du droit au logement adéquat, et afin de soutenir les fonctions des commissions d’examen.
Un appel à l’action destiné aux futurs gouvernements
Alors que le Canada avance dans un monde de plus en plus incertain, il est impératif que les approches fondées sur les droits de la personne en matière de logement et d’itinérance soient prioritisées. Le droit de la personne à un logement adéquat doit être au cœur des décisions politiques, afin que les futurs gouvernements s’engagent à adopter des solutions durables et à long terme. La crise du logement et de l’itinérance est résoluble, et le chemin à suivre exige des choix politiques audacieux et fondés sur les droits, afin de créer un changement durable.
Un gouvernement qui adopte ces principes respectera non seulement les droits de la personne, mais contribuera également à bâtir une société plus juste, équitable, résiliente et prospère pour tous et toutes.